Paris: 22 juin 1985. Un groupe encore inconnu du grand public se prépare à livrer un concert mémorable, et à guichets fermés, au Zénith de Paris. Sans publicité ni promotion de la part des grands médias. Dans une ambiance de folie, les chansons s’enchaînent à un rythme effréné. Les 6.000 personnes entassées dans la salle les reprennent en chœur. Ces morceaux sont déjà des tubes dans les Antilles françaises.
Ce soir-là, les grandes maisons de disques comprennent qu’elles ne vont plus cantonner encore longtemps la musique des Antilles à une sous-catégorie folklorique et peu rentable. La musique caribéenne vient d’entrer dans une autre dimension.

Mais le parcours fut long. Petit tour d’horizon d’une trajectoire qui n’était pas tracée d’avance.

Aux origines , une musique traditionnelle a base de percusiions

La musique caribéenne n'a pas toujours été le zouk remuant de Kassav ou le “zouk love”, plus romantique, de Patrick Saint Eloi. Non, tout est parti des traditions puisées dans les racines africaines des esclaves des caraÏbes. Découverte (non exhaustive):

Le gwoka

Le gwoka (ou gwo ka) est un genre musical propre à la Guadeloupe. Il est joué avec 3 tambours appelés Ka. Né durant l'esclavage, anciennement pratiqué dans les plantations, c’est une musique qui a été muselée sous la période coloniale. Elle est désormais inscrite au patrimoine culturel mondial immatériel de l'humanité.

Aujourd’hui, le gwoka est un spectacle à part entière, joué la nuit lors de rassemblements populaires. Le public forme un cercle. Au centre, des danseurs. Dans un jeu de question-réponse, le public donne de la voix en réponse au chanteur soliste.

Le chouval bwa

C’est le style musical traditionnel martiniquais par excellence. Il se joue aussi avec des tambours et le Tibwa : bambou horizontal sur lequel on frappe avec des baguettes.
La section mélodique est assurée par une flûte de bambou, un accordéon ou encore le Kazoo (accessoire de chant qui modifie la voix).

A côté de ces deux genres traditionnels, on peut aussi citer le Bèlè et le Bouladjel, deux autres styles de musique traditionnelle très populaires aux Antilles.

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Photo de Joshua Mcknight

Le mot « kasav » désigne la cassave qui est une galette de manioc en créole.

Les styles de la musique caribéenne moderne

La musique des Antilles françaises telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat d’un véritable brassage des cultures musicales.

Qu’il s'agisse de la soul américaine, de la variété française, de la salsa, du reggae, du kompa haÏtien, du soukous venu du Zaïre (aujourd'hui RDC) ou du Makossa camerounais, tous ces genres ont, d’une façon ou d’une autre, enrichi les rythmes traditionnels des caraïbes.
Voyons donc à quoi cela a abouti de nos jours.

Le Zouk

C’est probablement le style musical le plus connu des Antilles. Popularisé par Kassav, il est né de la vision quasi obsessionnelle du fondateur du groupe, Pierre-Edouard Décimus. Son objectif : adapter la musique de carnaval aux techniques musicales modernes.

Le zouk se caractérise par un rythme rapide. L’on se passe volontiers de partenaires pour le danser, un peu comme au carnaval.
Selon les mélomanes, et les membres du groupe eux-mêmes, LE morceau de Kassav qui a donné ses lettres de noblesse au genre est sans doute le titre Zouk la sé sèl médikaman nou ni.
Avec le zouk, le rythme traditionnel du carnaval s’enrichit des éléments suivants:

-une basse aux accents funky,
-des cuivres "pêchues",
-le son moderne des synthétiseurs,
-une guitare (aux accents rocks si possible!)

Le Kompa (ou Konpa)

Genre musical originaire d'Haïti, il a fortement influencé le Zouk.
Il se chante aussi bien en anglais, en français, qu'en créoel Haïtien.
Dans les années 60, il s’inspire des “big bands” américains à la Duke Ellington. Il est marqué par la forte présence des instruments à vent au départ, puis des guitares.
Au milieu des années 80, le style s'essouffle face à la déferlante du zouk. L’introduction des claviers vient raviver une flamme qui ne s’est plus éteinte depuis.
D’autres styles, plus proches de l’identité créole et très populaires, viennent compléter le riche patrimoine de la musique caribéenne française. On peut citer: la biguine, la mazurka, le kadans ou encore le gwoka moderne.

Les groupes emblématiques

Kassav

Le groupe qui a inventé le zouk. Le monstre sacré de la musique antillaise, aux multiples récompenses et aux tournées mémorables.

Après le Zénith de 1985, le monde s’arrache Kassav. Le groupe entame alors une ascension météorique qui l'entraîne aux quatre coins de la planète.

De 1985 à 1995: les cinq albums que sort le groupe sont soit disques d'or, double disques d'or ou disques de platine en France.

C’est le premier groupe afro à se produire à Saint-Pétersbourg, devant un public exclusivement russophone.

Les récompenses aussi pleuvent :

-1988 meilleur groupe aux Victoires de la musique en France.
-1989 Meilleur groupe francophone au Canada.
-1993 meilleur groupe de zouk au West Indies Awards à New york.

Aujourd’hui encore, Kassav continue de faire salle comble à chaque sortie: 65.000 personnes au Stade de France pour les 30 ans du groupe, et 40.000 personnes à la Défense Arena pour les 40 ans en 2019.

Patrick Saint-Eloi

Un des membres majeurs du groupe Kassav, décédé prématurément en 2010.
D’aucuns le considèrent comme le créateur et le maître du zouk love, un style plus lent que le zouk remuant de Kassav. Le genre se veut aussi plus romantique et plus sentimental.
Patrick Saint Eloi (PSE pour les intimes) a fait du genre sa spécialité, au point de se tailler une réputation de crooner qui ne le quittera jamais.

D’abord dans Kassav, puis en carrière solo. En effet, en 2002, et après 20 ans d’aventures, PSE décide de quitter le groupe pour continuer seul. Mais surtout, pour “mener une existence plus paisible”, selon ses propres termes.

Sa carrière solo n’en sera pas moins riche, ponctuée notamment par un Zénith comble en mai 2007.

Zouk Machine

Trio féminin originaire de Guadeloupe. En 1989, le groupe sort Maldon, qui bat tous les records:
-numéro 1 au top 50 durant neuf semaines en 1990,
-plus d'un million de singles vendus (disque de platine),
-à ce jour, le titre de Zouk le plus vendu de tous les temps.
En 1991: l'album KREOL est certifié disque d'or.

Malavoi

L’autre institution de la musique caribéenne française.

Dans un style plus intimiste, l’ensemble martiniquais a remis au goût du jour, entre autres, les styles mazurkas et biguines. Le tout enrichi par des influences jazz ou salsa.
Il en ressort une musique raffinée, qui a conduit le groupe à prester dans des contrées aussi inattendues que le Japon.

En 2000, le groupe reçoit le grand prix Sacem de la musique.

Tabou Combo

Ce groupe originaire d’Haïti a été créé en 1968. Ses membres s'autoproclament volontiers les "ambassadeurs du kompa".
La musique de Tabou Combo est d'abord faite pour danser. Elle jouit d’une réputation qui a fait voyager le groupe dans tous les coins du globe.

En 1975: le groupe sort New York City, un des plus gros tubes de la musique Haïtienne.

La musique caribéenne, une musique universelle

La musique caribéenne est certainement l’une des plus métissées au monde. On y retrouve des influences venues aussi bien d’Amérique du Nord, d’Amérique Latine, d’Europe et d’Afrique.
Est-ce cela qui justifie son succès? Sans doute. Quoi qu’il en soit, les populations du monde entier semblent y trouver quelque chose qui leur parle,qu’elles soient de Russie ou du Japon!